Anthologie de la poésie roumaine

contemporaine. 1990 – 2013

Ed. Tracus Arte, 2013

Choix et traduction

par

Linda Maria Baros


 

Mihail Vakulovski

 

ombre, ne me laisse pas loin derrière toi


je reviens de la ville

longe le pied de la montagne

admire la neige

et pense à mon père

les ombres m’entourent

des ombres de neige

des ombres amies

mes ombres

marchent à mes côtés

mes ombres

marchent avec moi

je parle avec mon père

avec ma grand-mère

avec mon grand-père

je t’aime père

je ne crois pas te l’avoir

jamais dit

tu me manques et je t’aime

nos ombres sont tous ceux

qui nous aiment depuis l’autre monde

nos ombres sont tous ceux

qui nous guident dans la vie depuis l’au-delà

nos ombres sont

nos âmes

regarde dans le miroir et souris

à l’ombre qui t’aime

regarde dans le miroir et souris

au vampire qui gît en toi

tous ceux que personne n’aime dans l’au-delà

sont

des vampires

 

 

Alexandru Vakulovski


Poème sur ou Peut-être es-tu déjà mort


Père

aujourd’hui

tu

aurais dû

venir

en ville

Toi tu aurais dû

venir

aujourd’hui chez moi

mais

Père

moi j’attendais

que tu viennes aujourd’hui en ville et

que tu me ramènes à la maison

que tu viennes au plus vite

mon frère m’a dit

père doit venir

aujourd’hui

mon ami est parti

aujourd’hui

et moi

j’attendais

que tu viennes

père

vous savez je veux

que père meure

père est malade

et vous savez

moi je voudrais que père

se suicide

aujourd’hui lorsqu’ils étaient tous à se disputer

moi j’ai parlé et ils ont tous ri

vous savez ai-je dit

moi je veux que père meure

le soleil me faisait suer comme un animal

j’étais au milieu du désert et je ne voyais

pas même de chameaux personne

j’étais seul

je ne pouvais pas même rêver de quelques êtres fatigués

qui fouleraient le sable comme dans les romans de Fowles

je ne sais pas même pourquoi père

mais je ne me sentais pas mal

je savais que tu devrais venir

j’ai appris père

que tu étais tombé gravement malade

on a dit que

tu serais sur le départ père

tu es malade des reins et

lorsque je suis sorti fumer aujourd’hui sur le balcon

j’ai eu l’impression que le ciel/la terre

était un rein énorme insupportable

avec des calculs à la place des étoiles

tu es

malade

et moi je

n’y peux

rien rien du tout

père il vaudrait mieux

mourir

que vivre ainsi

Dante voyageait à travers l’enfer

le purgatoire le paradis pour qu’il pût

regarder

tout simplement

le ciel et ses étoiles

et toi tu dois mourir

père

les rues sont devenues sombres

comme mes pensées

aujourd’hui toutes mes pensées vont vers toi

hier j’ai voulu dire à une femme

je t’ai aimée et je t’aimerai

toujours

jamais personne ne pourra changer ça

ni moi ni toi

mais ces pensées

égarées

ne lui étaient pas adressées

et

je descends du trolleybus

mes jambes se mettent

à courir

en fait tout dépend

de toi

je ne sais pas si tu es arrivé ou non

mais moi je veux rentrer au plus vite

ouvrir la porte

et même si tu as toujours été très calme

aujourd’hui je veux ouvrir la porte

ouvrir mes mains

père moi je veux

ouvrir la porte

et te dire

 


Moni Stănilă


sagarmatha

fragments


1.

….

je suis née par-delà les siècles j’ai pris corps

dans mon propre utérus mince comme une coquille d’œuf

j’ai vu la défaite des peuples

à travers la peau translucide

j’ai palpé l’histoire qui commençait avec moi la première

et finissait avec moi le dernier

j’ai tué avec une épée avec une bombe atomique

et je n’ai apporté pas même une journée de paix

je n’ai fait à manger pas même une marmite de bouillon

les biches et les ours je ne les ai pas chassés pour mon peuple

les généraux de droite et de gauche boivent du sang dans leurs coupes nettoient leurs armes nettoient les bouts d’os des dirigeants qui ont failli

je suis née au bout de la patience

de la famine de la maladie

je suis née pour décourager la famine

pour régner sur le monde d’une autre manière que tous ceux

qui m’ont précédée

je fends la volonté des terres

avec mon propre souffle

je veux que tous ceux qui sont morts dans les prisons communistes m’entourent

je veux que la gloire des fosses communes me couvre

les amérindiens ont donné leurs filles aux généraux arméniens

ils ont créé une nouvelle nation

un nouveau ciel et une nouvelle terre pour ceux qui hurlent

nous sentons dans la nuque le souffle

des propriétaires de droit du temple maya

plus proche toujours plus proche de nous et de leurs morts