TRAIAN T. COSOVEI & STEFANIA COSOVEI

LES ANNES FOLLES DU SOCIALISME

(fragment in franceza, traducere de Sandra Ghitescu)

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«Dès 60 uns, beaucoup d'écrivains américains deviennent de Vieux
Sa^es. C'est pour la société, une façon de nous mettre à la retraite,
nous autres, écrivains. On nous embarque dans le train de Y immortalité,
les auais sont pleins de gens qui agitent les liras
et crient hourras! Mais personne ri'entend rien....»
.                                               saul bellow


C'ETAIT UN CHIEN ABANDONNE
Pour MARIA- LU1ZA CRISTESCU Pour 1OSIF NAGH1U


Un pedigree abandonné. Trimballé d'une maison à l'autre, d'un amour à l'autre, sans cesse à la recherche d'un maitre qui, à défaut de l'aimer, le comprenne au moins: c'était raté.
J'ai cru qu'avec moi, il se sentirait du moins compris. Je ne sais pas si j'y suis
parvenue.
Sa vie avait bizarrement pendule entre une ampoule crevée d'anticonceptionnel et un tas de vengeances. Même pas abouties.
Lorsque j'ai fait sa connaissance, c'était un drôle de personnage, mi supporter de football de bistrot (où il couvait ses insatisfactions avec la faune du quartier), mi boulle de tendresse, qu'une infirmité sentimentale l'empêchait d'exprimer. Un supporter de quartier du Rapid, prix de l'Académie de poésie. Bizarre mélange de hip-hop et de Rossini, de rancune et de larmes, de bagarres au couteau et de parfums précieux offerts à sa nuée de maitresses, qui ne cessaient d'ailleurs de le quitter.
Il n'a avoué sa timidité que bien plus tard, lorsque j'avais déjà commencé à la deviner.
«Le petit moyen d'Europe de l'Est », comme il aimait se présenter, résultat d'un avortement remis au dernier instant, avait vu les lumières de la «Maternité», dans la nuit du 27 au 28 novembre 1954. Désiré ou non par ses parents (il ne vous le dira jamais), il s'est présenté avec le toupet qui le caractérise et s'est entêté de vivre, envers et contre tous. (N'est-ce pas là le slogan de son club favori, le «Rapid»?) Il s'est même entêté de grandir et non pas n'importe comment. De slogan en slogan et de doute en bonds forcés imposés par une protection maternelle suffocante, aux abimes d'un océan, nommé père qui surgissait et disparaissait, comme dans les films indiens de l'époque.
L'océan finit pas sécher. Il en resta une sorte de mare dont il ne se souvient plus du tout. Ah, si: Lorsqu'il est de bonne humeur, il se rappelle tout et il compare les tartes à la crème de son enfance (mal administrées, mais sûrement bien reçues) à une boue existentielle. De cette boue écoulée dans la rigole de sa maison de la rue Snagov, accolée à l'arrogance de l'Ambassade Américaine, il n'a recueilli qu'une malheureuse rougeole. Les maladies enfantines ne l'ont pas évité. Mais il ne les connait toujours pas. Ah! Ses innombrables furoncles, son tas de fiches à la policlinique du quartier, remplies de pharyngites, laryngites, sinusites, scarlatines, dont il s'enorgueillit toujours comme d'un trophée de désillusions, plus important que les prix plus tard reçus et qui ne lui font rien.
C'était un génie, disait-il. 11 parlait à neuf mois, peignait à quatre ans, était amoureux à cinq et avait des érections à six. 11 aurait aimé être une fille, il mettait les robes de sa mère, le feu le fascinait, ainsi que les maisonnettes en carton. Qui pouvait en vouloir plus"?
Il a 44 ans, il parle beaucoup et de n'importe quoi.
Il est insupportable, indésirable, mais fascinant. Si fascinant qu'il se répète. Il rit, pleure, aime, déteste, se suicide, pleurniche aux comédies américaines à deux sous et me bouffe mes nuits!
Je vois sur les murs son ombre gesticuler à propos de désillusions et suicides, à propos de la couche d'ozone détériorée, de son grand amour qui l'a abandonné et qui a fait carrière en Amérique, tout le fourbi, quoi. A propos de ses ménages ratés, toujours par la faute de ses anciennes femmes, évidemment, et le tout aboyé entre ses deux arguments les plus forts: les inévitables bidons de vin et les crachats sur la TV.
Il a tout eu: un magnétophone quand personne n'en avait, des contacts à la Securitate quand personne n'avait de relations avec la Somalie, 22 parties de sexe par jour, à une époque ou on n'avait ni insuccès, ni ratage, ni MTV, ni DISCOVERY, ni PLAYBOY. Ce sont, parait-il, ses derniers arguments. Même le jeu du ratage, son plat de résistance, personne n'en croit plus un mot.
Et pourtant, et pour bien d'autres choses encore, il me bouffe mes nuits, avec une indulgence presque sadique. Lorsqu'il est à court d'arguments, il me récite son enfance, pleine d'injustices, comme une fiche médicale.


«Moreac», fils de la mer, gaté sans amour, caliné sans caresses, libre sans liberté,
sans cesse menacé par les objets (plus ou moins ménagers) vus de haut, aimé par les
pierres et cailloux reçus sur la tête, méchant avec bonté, agressif par amour, visité par
des créatures non-terrestres (fées du destin ou extraterrestres), il avait été, comme
maintenant, un enfant que l'on aimerait voir toujours enfermé dans un cagibi et l'y
laisser.

Lorsque je l'ai connu, ça allait vraiment sur tous les plans, pour moi. Le succès total,
quoi. Mon mari était mort depuis trois ans, mon travail me rendait heureuse et, mes huit
heures finies, je servais bière et saucisses «mie» aux clients d'un restaurant propret du
quartier «Floreasca». Tout se passait entre cette aimable caisse, mes commémorations
et une pilule soigneusement conservée dans mon appartement de la banlieue de
Pantelimon.           
Paul fréquentait par hasard cette petite terrasse bien propre du quartier. Il n'était jamais excessivement ivre. Assez bien élevé et en train de rater une existence «pas terrible», comme il ne cessait de le répéter.
Il avait publié quelques livres qu'il distribuait dans le quartier, même aux anciens miliciens. C'était le genre de type qui tirait la chasse aux toilettes par pure politesse. Et avec lequel, il valait mieux ne pas avoir affaire. Il avait horreur des meetings; «il y aura de la casse»... Il m'en a rabaché les oreilles, la nuit... de ses sempiternels enregistrements de radios obscènes, qui répètent toujours la même chose, à mon grand désespoir, de son indestructible espoir en rien du tout, de ses incessantes chutes de calcium. Il n'arrêtait pas de renoncer à boire et à fumer, fermement décidé de ne plus jamais recommencer! Personne n'y croyait!


Il oscillait entre les orgies sexuelles d'autrefois, disait-il, et le culte pour la femme de sa vie. Personne n'y croyait plus! Mais fallait-il y croire? Bien sûr que non!

Bien sûr que non! Un pedigree abandonné qui vous peuple la vie d'une médiocrité lui ayant valu une notoriété de quartier.


Il mentait comme il respirait. li faisait des plaisanteries de mauvais goût que personne ne goûtait plus. C'était quoi? Frustration ou génie? Mélange de caniveau et de smoking, de manque d'applaudissements à rideau levé, souffrance qui empoisonnait tout ce qu'il touchait.

Dans son appartement de Floreasca, entre deux rues portant des noms d'aviateurs abattus pendant la guerre, il était toujours à l'aise. Dans son trois pièces, chaque chose le représentait bon gré, mal gré. Depuis la photo de Marilyn Monroe, encadrée d'admiration et placée dans la bibliothèque, à côté des portraits de ses parents et de quelques joujoux des œufs Kinder, d'icônes peintes par lui-même, de montres anciennes, qui ne risquaient plus de jamais remarcher, de bouteilles vides de boissons chères et des objets «POP ART» dont il était fier.
Là, dans son appartement, meublé d'ailleurs avec goût, il acquérait tout à coup le
sens de la propriété, un sentiment que par ailleurs il se vantait ne pas avoir.              
«Ma mère va m'acheter un nouveau poste de télévision! Et une télécommande pour
l'électricité et les rideaux! Et quand je mourrai, elle m'achètera un mort de luxe, ma
mère! C'est mon univers!» grommelait-il devant les portes ouvertes du balcon, pour
que les voisins l'entendent. Personne ne l'entendait.


Et sa vie? Pourquoi en avait-il fait n'importe quoi? Il se vantait qu'avec son compte en banque, sa mère pouvait lui en acheter une nouvelle.

Sa mère n'avait jamais eu de compte en banque. Pourtant, matériellement, elle lui
avait tout offert. A commencer par un costume de lycéen fait sur mesure, pour le fiston,
jusqu'à de la literie en satin et à un poste de télévision «Grigorescu», un tapis de Perse
et un bureau, pour que le fiston écrive, à une époque où la vie était rationnée,
socialistement parlant. La seule chose qu'elle lui eut refusée, c'était un billet pour
l'Orient Express. Peut-être, même, en avait-elle eu l'argent, mais pensait-elle que
c'était là une dépense inutile?
Renvoyé d'un parent à l'autre, sous prétexte qu'on le désirait, assistant sans défense aux disputes ménagères, le jeune Paul s'était fait méchant.
La paix de l'enfance n'était pour lui que la projection d'un film sur l'écran d'un frigo vide, ou d'une armoire à caries ou sur le parquet, dans lequel il avait lape avec sens des responsabilités les clous de ses premières vengeances, ou sur la fenêtre du sous-sol, aux odeurs de ce caniveau qu'il commençait déjà à désirer.
Mis au ban par une institutrice hystérique, il avait hésité entre les bandes de sa cité et la librairie du coin, où il achetait des livres, non pas pour l'école, qu'il détestait, mais pour lui et sa mère qui n'avait plus de temps à lui consacrer entre deux boulots et un amant accepté pour la forme, afin de garder son argent pour le petit.
Dès l'instant où je suis entrée chez lui, j'ai bien senti qu'il regrettait toujours
quelque chose... peut-être ses lauriers du CP, peut-être sa maitresse d'Amérique qu'il
attendait toujours, peut-être d'autres anciennes ou futures maitresses, pour satisfaire
aux caprices érotiques des rêves qu'il faisait chaque nuit et qu'il me racontait avec la
sincérité de celui qui n'a rien à perdre.  


On ne se disputait jamais; j'aimais l'écouter. Il le sentait et il en profitait. Il sait toujours quand il a tort, mais il ne supporte pas de l'avouer. Et pourquoi le ferait-il? Avouer quoi? Ses erreurs infantiles, dépourvues de méchanceté, qui lui ont, en l'ait, valu toutes les injustices de sa vie? Il se plaint sans cesse de ne pas avoir d'amis. Ses anciens amis, les Juifs, l'ont quitté et ont fait leur vie en Amérique!

C'est ce qu'il me dit toujours, allongé sur ses canapés d'occasion en peluche,
achetés à une grosse dentiste qu'il maudit toujours. Il parait que si les canapés sont un
peu décatis, c'est que la grosse nana faisait l'amour dessus. Mais il les a bien achetés
et il les a transportés avec ses amis, dresseurs de chiens de police du quartier. Il s'était
mis à fréquenter même les miliciens!
Ensuite, ils s'étaient soûlés incroyablement. Tout a fini dans un labyrinthe de voix.
Je me suis réveillé, hurlant presque de terreur, en train de chanter l'Internationale.
Je gueulais à travers l'appartement, en attendant que la cafetière se mette en marche:
«Debout! Les damnés de la terre/ Debout, les forçats de la faim / II n'est pas de sauveur
suprême: De dieux, césars, ni de tribuns... Ouvriers faisons table rase, nous ne sommes
rien, nous serons tout!»                   
Dans ma gueule de bois, deux choses me faisaient sursauter: le mot Dieu et le mot
ouvrier. J'avais travaillé une douzaine d'années comme tourneur sur fer à «Turbomecanica»... ce n'était pas mon choix. J'ouvrais bien les yeux devant mon tour, pour ne pas être un parasite social, comme l'avait dit une grosse dame, bien faite, autrement, membre du (tribunal). J'ai planté mon crane sous le robinet du lavabo... J'ai du faire un mauvais rêve, me suis-je dit. Oh, mon Dieu, me répétais-je, comment ai-je pu faire un  rêve aussi débile?! Un type qui s'en veut d'être Juif et qui terrorise une gonzesse… Qu'est-ce que j'ai dû boire cette nuit?!
Je traversais une période où, avec mes copains de «Turbomecanica», on se faisait un titre de gloire du nombre de bouteilles alignées. J'étais bien à ma place. J'avais «retrouvé» ma place dans la société, comme l'exigeait la poufiasse, là. Et comme dans cette usine là, on ne tombait pas souvent sur des femmes, si on voyait un jupon (même une blouse de travail), vous bandiez avec le pantalon et tout. A leur idée, deux années devaient me suffire pour me changer les idées, pour que j'oublie mes longs cheveux, les jeans et le parasitisme social. Pour qu'ils ne doutent pas de mes bonnes intentions et de mon ardent désir de réinsertion sociale, j'y suis resté de mon plein gré dix années de plus, avec une satisfaction dingue.
Pourtant, après avoir gueulé trois fois l'Internationale (en fait, les seuls vers que j'en connaisse), lorsque la cafetière commença à produire son jus, j'ai réchauffé mes mains à la tasse brûlante en me demandant: qu'est-ce que c'était que ce rêve là? était-ce la fille de la confiserie du quartier? Je perds la tête... dans mon quartier il n'y a pas de confiserie et sûrement pas de vendeuse, ni de fille pour «défaire les produits», comme on s'exprimait au bon vieux temps, à quelque comptoir que ce soit. Peut-être était-ce une image rémanente? Ou bien est-ce là mon rêve roumain, à moi?
La tasse encore brûlante, je me regardais dans le miroir de la salle de bains, une autre œuvre charitable de ma mère... je n'y voyais que des cernes et un type qui se posait des questions idiotes. Maman n'aurait pas supporté de me voir ainsi. C'est pourquoi elle m'avait acheté cet appart' qu'un Arabe avait voulu m'acheter pour 80.000 dollars en billets américains! J'ai bien une petite amie, mais elle ne travaille pas dans une confiserie! J'ai rêvé. Un mauvais rêve, me dis-je - tout en tournant avec ma tasse de café devant la glace. Un coup de fil à maman. Elle sait dire la bonne aventure comme personne, dans les cartes, le marc de café et les rêves. Si j'ai un pépin, c'est le premier coup de fil que je passe. Ah, non! Si je lui dis que je me suis réveillé en train de chanter l'Internationale, elle va encore me faire interner.


Quant à mes anciens copains, les tourneurs de «Turbomecanica», je ne voulais plus en entendre parler. Entendre? Entendre quoi?

Je me suis réveillée toute en sueur; j'avais fait un rêve confus. Paul est bien plus pragmatique, lui: il dort tout habillé. «Pourquoi?» lui ai-je demandé un jour. «Pour parer à toute éventualité» me répondit-il. Voilà bien longtemps qu'il n'y avait plus d'éventualités pour Paul! Il dormait avec son nounours pelé, qu'il avait reçu dans les années 60, avant la mort de Gheorghe Gheorghiu-Dej, l'ami des ouvriers à casquette ou béret basque. Avant que l'on ait jamais touché l'un à l'autre, je le croyais malade. Il a un talent à se lamenter... c'est incroyable! Il voudrait bien poser nu en statue du désespoir. De l'hypocrisie plutôt, me disais-je, réveillée par un rêve étrange, et examinant mes seins du matin. Paul croit aux rêves, il est superstitieux et se cache derrière des paroles qu'il croit célèbres: «La superstition c'est l'absence de la foi!»
Il va de temps en temps faire l'aumône... il a ses morts à lui. Il passe facilement de
la générosité à l'ivresse... Et alors, il disjoncte: son quartier de Juifs qui ont fait fortune
en Amérique (et lui, l'idiot, qui n'a pas saisi le bon moment), les réalisations de
Gheorghe Gheorghiu-Dej, le grand ami des ouvriers à béret basque, les immeubles pour
les cheminots, les agents de forces obscures qui se battaient pour lui... et tout le
bataclan.
Heureusement qu'il a laissé la cafetière en marche.                   .


Sous la douche, je me rappelle ses crises de personnalité: il se sent coupable de la mort de mon mari. Rien à voir avec notre relation. Mais pour Paul c'est une merveilleuse occasion d'accrocher une nouvelle breloque de malheur à ses jeans d'occasion!

      Pendant des mois, il m'a parlé de son chien Aciduzzu. Il avait même acheté des livres, des brochures plutôt... soit disant pour comprendre la personnalité du quadrupède ! Encore un peu et Aciduzzu l'aurait dépassé en notoriété. Affalé sur le
canapé, il vitupérait, aboyait comme les hyènes du zoo:«je l'ai rendu célèbre, tu
comprends (il fallait, tout le temps, qu'on le comprenne), il est apparu dans trois
émissions à la télé, sur la couverture de mon livre ; je me suis occupé de lui et quand
j'ai eu le prix de l'Académie, je me suis dit : si le chien a une médaille, je peux bien en
avoir une aussi, non?! Je l'ai humanisé! J'en ai fait un homme!» Ensuite, il s'enfonçait
dans la bibliothèque et il me lisait - pour la n-ème fois - le poème de Ion Barbu sur son
chien Fox..           
Le chien était en fait une chienne. Et son grand amour pour le pauvre quadrupède consistait à l'emmener en promenade au bistrot. Leur relation était à peu près finie. Il grommelait maintenant à travers l'appartement: «J'ai donné le chien à un type qui a une BMW... Comment fait-il, celui-là, pour s'acheter une BMW? Sa grand-mère lui a peut- ! être envoyé de l'argent d'outre tombe? Le chien se balade maintenant en BMW», et toc, |un coup de poing dans le mur! Tout un mur était plein des photos du chien et il s'était, lui, cassé le bras...voilà... lorsqu'il s'est agi de le mettre dans le platre, il a laissé le chien tranquille...
Sous la douche, entourée de vapeurs, je suis en sécurité, loin de sa machine à musique qu'il a payée cinq millions .... Il n'est jamais las de me répéter le chiffre et le nom du magasin où il l'avait achetée. A travers les murs et le portes en chêne (ah, les portes en chêne, achetées par sa mère!), le parfum de la mousse de bain, mon corps, reflété dans l'énorme miroir (acheté par sa mère, évidemment) se mêlaient au grondement des tambours de la chambre d'à côté.... Et ça vrombissait, pour cinq millions de lei sonnants et trébuchants, comme il ne cessait de me le répéter.
Il avait ses qualités; il frappait à la porte lorsque j'étais sous la douche. Il n'avait nulle raison de le faire, mais à travers la porte entrouverte, il tenait à me dire, pour la n-e fois que le chien aussi le suivait à la trace... en reniflant sous la porte. Son chien, qui apparait dans toutes ses plaquettes de vers.... Son chien, qu'il a rendu célèbre... et qui circule maintenant en BMW et qui n'a nulle reconnaissance envers lui! Comment a-t-il fait, celui-là encore, pour s'acheter une BMW? Après quoi il s'en prenait à la Mercedes de Breban.


La salle de bains de Paul n'est pas Dieu sait quoi, mais c'est la pièce la plus,
tranquille de l'appartement. 

Ses lecteurs de singeries juvéniles je les avais remarqués à distance, dans une ville de province, où il lançait un de ses livres.... Des écoliers, déjeunes appelés... quelques, enseignantes fort soucieuses de leurs règles. Sur le livre de Paul, presque rien. Il a tenu la scène près de deux heures, en attendant que ses collègues, critiques littéraires el poètes, prennent la route pour assister à son grand insuccès. Mon mari, Dieu ait son ame, était acteur, alors je sais ce que c'est que la scène et ses arcanes... Paul fut d'une médiocrité longuement applaudie. Il s'énerva si gracieusement qu'il offrit tous ses livres aux personnes présentes.... Et nous, qui comptions lui voir vendre au moins cinquante - soixante exemplaires. La catastrophe, je l'ai lue dans ses yeux depuis la voiture venue nous chercher devant chez nous. En ces circonstances, Paul emporte une bouteille de vin.... «Allez viens, on va rire» - répétait-il les paroles d'un ami du quartier. Il ne pouvait pas s'abstenir: «Comment l'autre a-t-il assez de fric pour habiter une villa à piscine?!» Il n'en a pas démordu un instant, mais arrivés dans la salle de la bibliothèque, il fut galant homme: il offrit gracieusement tous les livres. Ensuite, autour du pot, comme il arrive dans ces circonstances, il déposséda un colonel (car la cérémonie avait lieu à la Maison des Armées) d'un képi qui m'allait très bien. J'ai revu ensuite la cassette vidéo et elle m'allait vraiment très bien! Le colonel, contrarié par ses phrases intempestives, m'a même fait un compliment de garnison... Après quoi, Paul a demandé la voiture, pour le raccompagner à Bucarest. Il valait mieux ne pas le contredire en de telles situations. Il avait l'habitude d'emporter son pistolet, Smith & Wesson... Si je lui demandais pourquoi, la réponse était la même: «A tout hasard» J'ai finalement appris le pourquoi de la chose: son ami, le poète Mihai Ursachi avait un Browning. «Et pourquoi celui-là aurait-il un Browning?» - me dit-il... et il lui dédia un poème. Mais quelques jours après il tournait en rond à la maison: «Comment a-t-il eu autant de fric pour acheter - en Amérique, tu te rends compte - (et il répétait plusieurs fois cette remarque «en Amérique, tu te rends compte») une limousine à l'essence sans plomb? Personne n'a autant d'argent pour se le permettre! Je lui ai demandé cent dollars et il n'a pas voulu me les donner!»
Un jour, je lui ai donné raison (il y tenait beaucoup), ses amis avaient fait fortune
outre-océan. Je n'avais pas à le contredire, car il recevait de temps en temps une carte
postale de l'ile d'Ellis. Amon avis, ils se moquaient de lui. Le texte même de ces cartes
postales était d'un sadisme bien tempéré...qui ne faisait que nourrir son masochisme
foncier. Dans ses moments de crise de personnalité, il arrachait à la bibliothèque ses
livres préférés, Nichita Stanescu et Maria Luiza Cristescu... et il tonnait dans tout
l'appartement: «C'est ceux-là, qui auraient du arriver bien loin, avoir le prix Pulitzer,
et non pas cette bande de Juifs qui ont fait carrière outre-océan. Ils m'ont trahi, ils m'ont
humilié, ils m'ont enterré sous leur tas de cartes postales».
Tout cela m'a valu une inconsciente curiosité de lire Maria Luiza Cristescu, la curiosité à déchiffrer ce monde quasi-inintelligible - en ce qui me concerne - des écrivains. Le roman de Maria Luiza «Tranchant comme la tendresse», gisait sur sa table de nuit, tellement souligné, que je me suis fait des idées. Mais quand Paul s'est mis à gueuler: «Elle est plus forte que Breban avec ses Mercedes et tout», puis après quelques nouvelles gorgées: «Elle a chez elle le téléphone du maréchal Antonescu ... quant à la prose, elle les a tous à son petit doigt... elle les piétine . «Anges maculés» casse le marché du roman, dans toute l'Europe.» Il interrompit son discours, puis il continua: «Mais comment se fait-il qu'elle ait chez elle le téléphone d'Antonescu?!»
En fait, nous nous étions rencontrés au Salon du Livre, au Théatre National où Paul avait réussi, en fin de course, à lancer un livre. Dans la confusion des voix et des regards, perdue parmi les enregistreurs et les flashes, je me suis trouvée devant une dame (c'était tout là haut, sur la terrasse «La Motoare») qui m'a adressé la parole: «Inutile de leur parler, à ceux-là, ce sont des hommes!»
J'étais un peu gênée dans un monde que je ne connaissais pas encore, mais que j'anticipais. Les plaisanteries de la Télévision Roumaine publique n'avaient rien à voir avec celles de la terrasse du Théatre National, bien plus vulgaires et à double sens. Et ceci pendant que Paul parcourait dans tous les sens la terrasse, à la recherche de son ancienne maitresse pour lui donner une nouvelle raclée... Lors de l'édition précédente, on avait eu besoin de l'intervention des forces de l'ordre. Pour qu'il ne soit pas arrêté.
Il était en compagnie de son éternel ami, le sculpteur Vlad Ciobanu, et pendant un moment d'inattention de ma part, on l'avait emmené de force dans une petite pièce, pour lui faire donner des déclarations. Ses cartes d'identité étant depuis longtemps expirées, il ne pouvait pas se défendre. Devant la porte de la pièce, attendait son ami Vlad Ciobanu... Au bout de quelques tergiversations, on le relacha... Il ne se calma guère, il était assoiffé de vengeance et il ne s'agissait dans sa tête, ni plus ni moins, que de donner une «bastonnade» à cette «pute» qui avait trahi son idéal.
Et tandis que Paul donnait des déclarations inutiles, assis à une longue table en bois massif, nous étions en conversation avec deux dames... et je ne savais rien du fait que mon Gavroche à moi était en garde à vue...
Une demi-heure plus tard, lorsqu'on le mit en liberté, il avait encore ses ressentiments... C'était maintenant une autre histoire... il voulait embaucher des tueurs ukrainiens toujours prêts à quelque crime parfait... et il avait demandé à toute sa bande de copains de le défendre... rien que pour lui permettre de donner une nouvelle raclée à son trésor.
Sur l'immense terrasse «La Motoare» sur le toit du Théatre National, je me sentais en sécurité auprès de la femme de Dan Stanciu («II est génial, criait Paul, il a travaillé avec Gellu Naum») et Maria Luiza ne faisait nul effort pour se renseigner sur l'avenir de Paul, que des policiers emmenaient de force pour des déclarations.


La question devint si épineuse, que pour l'édition suivante du Salon du livre, les téléphones sonnèrent pendant deux semaines. Paul en avait trois. Et tout le monde demandait la même chose: qu'il ne se représente plus !

Il me trouve toujours en train de taper à la machine. Ce qui est bizarre, c'est qu'il est jaloux de mes pauvres lignes! Il intervient. Il se tient déjà pour un personnage célèbre. J'en tiens compte, ou du moins je fais semblant. C'est une thérapie, pour lui. Il ne sait pas que j'ai trouvé son journal des années 60. Mais ce n'était pas là mon univers! ;.
J'aurais mieux fait de rester dans ma confiserie de Floreasca. J'aurais supporté Paul à distance. Près d'un type qui casse les portes à coups de pieds quand il a faim et qui me demande en mariage tous les soirs, pour l'oublier le lendemain, j'ai le sentiment d'attendre la fin du monde...
Ma voisine du quartier Pantelimon, Madame Florica, me turlupinait depuis trois ans déjà qu'il fallait me marier, que la solitude était dure, qu'il fallait bien avoir quelqu'un, finalement. Eh bien, voilà, j'ai écouté son avis et maintenant j'ai Paul, c'est-à-dire un amoureux, un ami et un enfant, un complice, un prof sévère et un amant chevronné, le tout... à la fois...


Les magasins alimentaires de Pantelimon étaient fermés quand je rentrais chez moi. Heureusement qu'il y avait les cigarettes de la confiserie et le craquelin de «chez les Turcs». Mais j'avais l'eau chaude et une salle de bain, moins belle que celle de Paul, mais plus silencieuse. J'avais aussi une amie. Selon Paul, c'était ma seule amie véritable. Il me le disait en tant que poète, un grand qu'il disait. Chose prouvée! Qu'est-ce que j'en sais, moi? Au quartier de Pantelimon on ne fait de vers qu'entre deux factures de chauffage et une autre du téléphone impayées. Et entre deux trams ratés. Au bistrot non plus on ne faisait pas beaucoup de poésie. Sauf peut-être sur les murs, mais c'était aux toilettes!

Paul fait tourner en boucle le disque avec sa chanson préférée et il commence: «Comment pouvez-vous, je vous le demande, demander vingt millions de dollars uniquement parce que vous vous appelez Bruce Willis et que vous êtes marié à cette pute de Demi Moore? J'espère au moins qu'ils sont séparés!» Je ne réponds pas. L'atmosphère à la maison est joyeuse. J'ai le droit defermer la télévision du salon, qui ne fonctionne pas de toute façon. Nous avons aussi une vidéo. C'est la cassette porno, que Paul regarde le plus souvent, mais il n'est jamais satisfait et il ne cesse d'aboyer: «La compétence professionnelle est en liaison directe avec celle sexuelle!» Ce qui ne l'empêche pas de passer et repasser cette cassette sur une seule séquence, qui approche tant soit peu de ses désirs d'onaniste résigné.

Moi, dans mon Pantelimon, à la circulation fraichement réglementée, je ne pouvais pas savoir qui était Paul, avec son idée de génération, sans cesse répétée, reniée, maudite, mais jamais dénigrée.
Je vendais des saucisses «mie» au Marché Floreasca... C'était une façon de franchir la grille de la Télévision Roumaine, d'oublier la mort de mon mari et ma maison que je ne voulais presque plus habiter. J'oubliais d'exister.
J'assistais, avec la condescendance du quartier, aux soi-disant aventures de Paul. Le Salon du livre avait pris fin. Nous gardions de Maria Luiza ses romans, sur la table de nuit de mes rêves d'imposture. Je rêvais d'écrire un livre, surtout pour le monde fascinant que je venais de découvrir après la mort de mon mari. Je n'avais pas trop le choix.
Paul était une sorte de Mickey de la zone. Je devais apprendre, bien plus tard, que Mickey était mort pour lui. Il avait même écrit un livre sur ce sujet, mais il ne s'en vantait pas. Même Mickey? Ses longs monologues sur Gheorghe Gheorghiu-Dej, ami des ouvriers à béret basque, tombaient mal.... Je pense qu'il voulait bien encore assassiner quelqu'un... surtout depuis qu'il avait renoncé à l'idée des tueurs ... Pour le bien public.
Et alors, pourquoi vivait-il? Et vivait-il encore? Il en était au bouche à bouche, avec ses CD, ses chansons répétées à n'en plus finir, ses amis buveurs de vodka et amateurs de fauteuils défoncés et, naturellement, ses poèmes. Lorsqu'il se retrouva à l'hôpital, il laissa tout tomber... y compris la Mercedes de Breban et ses amis juifs, qui avaient fait carrière en Amérique. Il semblait un bon écrivain en train de sortir de l'hôpital.


«J'écris pour me venger!», hurlait-il aux mur tendus d'acajou par sa mère. De quoi voulait-il se venger? De son enfance? Dans l'un de ses moments de solitude truquée, il me racontait comment il avait coincé un type dans la rue.... Près d'une descente de gouttière... et juste au moment où il se préparait à lui administrer les derniers coups de poing, l'autre lui dit: «De quoi te mêles-tu, toi, qui n'as même pas de père!» Il m'avait presque persuadée d'aller voir la descente de gouttière, près de laquelle il avait reçu
cette réplique. «Je ne l'ai pas battu, je suis allé pleurer chez moi» me racontait-il.

       J


Avec son ami, qui vendait des chiens policiers, ils faisaient fausse impression dans
un quartier d'anciens collabos de la Securitate. Depuis mon comptoir, je regardais leurs
comédies à quatre sous. Il faisait grand cas de son ami Vali, qui avait défié toute la
police en tentant, pendant la Révolution, de vendre à un inconnu le berger allemand de
la brigade . «Je lui ai demandé - disait Paul - Tu n'avais pas pitié du chien'?» «Sacré
bordel de chien, j'ai encore bu six packs de bière!» C'était là son histoire, mais Paul
aimait bien son ami. Il grognait en tournant dans l'appartement (l'appartement acheté
sur la pension alimentaire que le tribunal avait fait verser à son père): «Ça c'est un ami.
Il est venu à 4 heures du matin, quand j'avais ma crise de spasmophilie... et il est resté
près de moi, parce que je ne voulais pas appeler l'ambulance. Il a laissé femme et
enfants pour venir m'assister... Qui l'ait encore ça de nos jours?. Il sortait ensuite sur
son balcon et crachait sur les Mercedes de ses voisins en disant: «Eh bien, oui, il a eu
raison, sacré bordel de chien!»            

De derrière mon comptoir, je regardais longuement les gens. J'étais devenue prudente, en quelque sorte... mon overdose de compréhension était à bout. On ne saura jamais qui a vendu le berger allemand de la brigade et qui son ame. Influencée par la poésie victorienne (Paul n'utilise le mot Browning, que pour le pistolet... mais ce n'est pas le sien, c'est celui de Mihai Ursachi, celui qui a ramené d'Amérique une limousine à essence sans plomb!) j'étais, à mes yeux, une personne sensible, dans les limites normales... Surtout après avoir lu Maria Luiza...
L'écrasement était une sorte de retour thérapeutique à la nature. Je ne connaissais
pas le bouddhisme ZEN et je n'en avais pas besoin.... Je vendais des saucisses «mie»
et des chocolats Suchard, que Paul détestait, gueulant qu'ils étaient faits par ses amis,   
qui avaient fait fortune en Amérique.       


Or, je savais bien que le chocolat Suchard n'a jamais été fabriqué en Amérique!     

  
Qui et quoi le marginalisait, le harcelait et le poursuivait jusque dans les derniers retranchements de ses vagues souvenirs? Je jouais avec mes seins dans la baignoire et me disais qu'il voulait à tout prix demeurer un incompris de banlieue. Comme s'il ne le savait pas! Il savait bien que personne ne le marginalisait ! Il était irresponsable au point de citer Salinger, celui de «L"attrape-cœurs»: «Je suis sensible comme la cuvette des toilettes». Sa mère venait de lui acheter une cuvette à télécommande. Il se le permettait donc! Quel individu bizarre... Qui va frayer avec un tel type!?           
       Un écrivain sur les phtisiques, les policiers et les patinoires. Alors, pourquoi tous,
des miliciens aux ivrognes et aux vendeurs du marché, le respectaient et en disaient du
bien? Il avait un talent inné pour gagner son public... C'est bien pourquoi il a échoué
aux «Relations publiques». Je me sentais parfois vengée. Ses posters avec Demi Moore
contre laquelle il maugréait par désœuvrement et à cause du tas de fric qu'elle avait fait,
la collection du journal «Scanteia» (où il se lamentait toujours d'avoir publié un minuscule article), les photos officielles et bouffies de Gheorghiu-Dej, l'ami des
ouvriers à casquette et la collection de Playboy et Penthouse m'avaient poussée à
prendre mes distances par rapport à lui.           
Je ne suis pas le genre à fouiller dans les tiroirs des hommes... je n'ouvre pas la
braguette de leur intimité de douzaine. Mais un beau jour, en feuilletant ses tiroirs, je
suis tombée, sans intention aucune, sur un cahier sur lequel il était écrit «Cahier
d'étudiant». J'ai appris ainsi que Paul tenait une sorte de journal intime: ses érections
matinales écrites à la main. Instructive lecture! Après une dizaine de pages, j'ai voulu
me venger et l'envoyer - par la poste - à ses copains qui avaient fait carrière en
Amérique. Et comme par hasard, bien en vue, les photos toutes nues de son grand
amour. C'était le comble... il lui avait dédié deux livres et il lui pleurait toujours après,
vingt ans après; mais à la voir, avec ses jambes tordues, son rouge à lèvres et son porte-
jarretelles des années 70, ma satisfaction fut double: celle de regarder une fois de plus
mes propres seins dans la glace et de fourrer les photos de cette pute, dans la tombe de
son tiroir secret.            


Secret, mon c... il devenait négligent, même avec ses souvenirs.

Depuis que j'ai découvert son journal intime et surtout depuis que je l'ai feuilleté et
remis soigneusement à sa place, Paul était devenu suspicieux. Il avait parfaitement
hérité du talent de sa mère de deviner, pressentir etc. Il n'était sans doute pas question
d'un héritage quelconque, mais du fait qu'il marquait toutes ces choses qu'il avait
emballées au «Département Nostalgie». Il m'avait prévenu qu'il faisait très attention à
son passé... Qui n'avait d'ailleurs rien de terrible, ni de passionnant. Il ne l'était
simplement pas!
Son geste de défendre bec et ongles cette borne kilométrique sur laquelle il était marqué «Intimité» m'a pourtant poussée à ne pas faire de commentaires. Il n'y avait vraiment rien à commenter, là... Je m'en suis rendue compte rien qu'à voir la médiocre inscription sur la couverture verdatre en carton grossier: «Cahier d'étudiant»... J'ai eu envie de rire. J'en ai désormais vraiment envie, à penser que toute cette cellulose avait pour unique sujet une femme que Paul, étant puceau, ne cessait d'appeler au téléphone, tout en sachant qu'elle sortait avec un autre. J'ai moins ri, lorsque j'ai appris qu'il parcourait ( il aimait ce mot) treize kilomètres à l'aller et treize au retour pour lui téléphoner. Il faisait son service militaire... et il était puceau de surcroit!


Je lis maintenant dans les journaux, (qu'il ne supporte pas) qu'il serait lieutenant-colonel de l'arme No 1. Sur son canapé, où il somnole en cas d'insatisfactions mineures, sa voix hésite entre «La Danse de l'ane» et «Pour Elise». Il avait dépassé la période des discours d'extrême droite: «Entends-tu, Stéphanie, vingt kilomètres pour passer un coup de fil à une pute, étudiante en psychologie, il faut être crétin où appelé, pour le faire... Je l'ai battue à mort, j'ai dansé debout sur son corps... Je me suis vengé... Humble comme toutes les putes, elle circule maintenant en minibus. Et les voyous lui latent encore les fesses. Elle a soi-disant fait carrière. Ils ont eu raison de supprimer la faculté de psychologie. Quoi? Qu'est-ce que tu dis? Mais, comment veux-tu faire la psychologie avec des ouvriers?! Cette Michaela... je lui ai donné une de ses raclées, hurlait Paul, pour qu'elle s'en souvienne! Qui roule en minibus, n'a qu'à boire la coupe de la honte jusqu'au bout!»
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       Parmi les numéros forts de Paul, tous les soirs, il oscillait entre deux grands sujets:
son entrée en Philo et son expérience (de deux années et demie et il accentuait sur la
demie) comme disc-jockey au «Club des lettres»... Lorsque la légende dérapait, il me
racontait qu'il était sur le point d'être trois fois mis à la porte de la faculté. J'étais
devenue curieuse et je me suis renseignée (Paul avait son mot préféré de Staline. Il me
le répétait dans ses extases matinales: «Fais confiance, mais vérifie!») Il était devenu
prudent au sujet de sa vie.
       Son histoire de la Fac', je l'avais déjà entendue une centaine de fois: il était entré deuxième au concours et il avait fini - avec plus de mal que dans le lit conjugal - trois centième. Je commençais à perdre patience... Mais au chapitre du disc-jockey, l'enthousiasme le gagnait. Il devenait passionnément ennuyeux; tout se résumait à la marée de nanas réunies sur la plage du dancing et invitées chez lui, sa maison étant, disait-il, accolée à l'ambassade des Etats-Unis.
         Ses détails étaient d'une vulgarité bien étudiée et je restais là à l'écouter noter les dames... je commençais à sécher ses cours de ridicule... Son pantalon évasé, ses cheveux coupés par la milice... j'hésitais entre la plainte et la pitié.
           J'ai fini par comprendre que ses trucs verbaux avaient du mal à dissimuler une timidité aiguë. Il me l'a avouée, mais de la façon confuse qui était la sienne... Ses cours d'anti-timidité se débattaient dans un Triangle des Bermudes de ses propres insatisfactions: il s'était inscrit à la Brigade artistique de la Faculté des lettres (il avait même un diplôme et une photo, qu'il me montrait aux moments les plus incroyables). Il avait aussi une liste de filles qu'il notait et dont, un peu vieilli, il parlait avec une lamentable nostalgie... Son point fort était de voyager dans les bus, en s'asseyant sur les sièges réservés aux personnes agées ou aux femmes enceintes: «C'est le siège retourné - disait-il. Essaye, pour voir, d'affronter tout un couloir de regards... et de les défier en plus!» Son ancienne timidité avait déteint en impertinence, interprétée avec un certain charme. Seulement la scène s'était vidée et le public s'était dispersé.

  Après plusieurs verres de vin (la vodka lui était interdite depuis sa sortie triomphale de l'hôpital «Sf.Ioan»), il contemplait les murs et il sortait de temps en temps au balcon pour cracher son venin. Lorsqu'il était à court d'arguments, il pardonnait à tout le monde... il devenait généreux... il avouait que Mircea Cart,arescu était bien le meilleur de leur génération. Il gardait toujours le reçu fiscal du paiement de leur anthologie commune «Air diamanté», publiée aux éditions «Litera». Il gardait d'ailleurs tout, y compris les reçus du Fonds des Plasticiens, où il avait confectionné et vendu (son mot préféré) pendant plusieurs années des objets de mode: robes et chemises... «Les vapeurs de vinaigre fixent le mieux la couleur, disait-il. J'en ai abimé une cuisinière à gaz!» Et puis, à voix basse: «Tu sais ce que j'ai fait? J'en étais au désespoir avec nos couleurs «Gallus» des années 70. Je téléphone à un type que je connaissais..; Et il me dit: «Pisse dessus» - «Comment?» - «Tu ne savais pas que l'urée fixe les couleurs'.'1» «Et toi, Paul, qu'est-ce que tu as fait?» - lui demandais-je pour ne pas nourrir ses ratages vestimentaires. «Qu'est-ce que je pouvais bien faire? J'ai pissé dessus! Et ça a parfaitement fonctionné! Qui sait qui porte maintenant ces robes là?»
La mode des robes qu'il vendait au magasin du Fonds des Plasticiens était depuis longtemps passée. A l'époque je trainais aussi devant ces vitrines aux objets, pour moi, inaccessibles. Je n'avais nulle idée alors, que Paul était devenu un nom gribouillé menu sur l'étiquette d'un «exemplaire unique» et qu'il pissait sur ses exemplaires uniques.
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En travaillant à la Télévision roumaine, j'ai examiné, en une vingtaine d'années, plusieurs millions de photogrammes. Je dis cela parce que Paul m'a avoué avoir deux obsessions: les voix et les figures. Les voix qui attirent son attention se débattent actuellement entre les groupes «Parazitii» et «B.U.G. MAFIA», deux groupes à la mode, quant aux figures masculines, (il tente de ménager mes sentiments, mais il tourne toujours la tête après des femmes dans la rue), il les caractérise succinctement: «Regarde ce type, la bonne mine qu'il a ... Est-ce qu'il a la prostate, lui?»
Devant notre maison, le parc parait absent. Le soir, la patinoire déborde de lumières
et de voix glissant sur la glace. Des lasers, des stroboscopes. Elle ressemble à un
vaisseau spatial découpé dans un film de Spielberg... un être puisant dans la nuit
glaciale... mais je ne perçois, moi, que le bruit des tambours. Depuis quelque temps, je
vais à la Télévision en coupant à travers le parc; ça ne glisse pas et le bruissement de
la neige me donne à la fois un sentiment de solitude thérapeutique et de sécurité. Et
puis, il y a la danse des pedigrees qui folatrent dans la neige. Après avoir fait le tour de
la Salle des sports Floreasca et traversé la rue de Téhéran, je tombe sur un immense
slogan publicitaire: «Let's Make Things Better, PHILIPS» et je sais déjà qu'une journée
de travail m'attend.         
Les principes de Paul sont différents et solidement argumentes: «Je ne vais pas pointer, moi, je vais travailler...Quoi? Trainer dans les couloirs et fumer deux cents paquets de cigarettes? Je n'ai pas de bureau, moi. Si on a un bureau, on est bien obligé de s'y asseoir!» Et puis, pour m'amuser de force: «C'est le travail qui a créé l'homme, mais la paresse n'a tué personne, non plus!». Ah, Ah, Ah!
Son rire était honnête. Lorsque son grand amour l'avait abandonné et surtout lorsqu'il eut renoncé à l'idée des tueurs payés pour «Faire sauter leur bordel, là bas!», il me disait: «Stéphanie, moi, dans cette vie, j'ai beaucoup ri; j'ai ri comme pour neuf vies, comme les chats!»
Il francisait mon nom avec une pointe de tendresse finale. Avec un début de férocité.
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Un jour, mes nerfs ont cédé et je lui ai dit: «Vous aussi, les hommes, vous en arrivez à l'andropause»!» C'était après un long monologue au cours duquel j'avais appris comment il s'était cassé trois fois la figure. Et puis, il s'affairait dans la salle de bains avec la télécommande, se regardant dans la glace: Pourquoi ai-je le nez aussi gros, moi, qui l'avais camus, dans mon enfance??! Tu te moques de mon nez, hein? Des coups que j'ai reçus? Mais cet idiot de Depardio, (il déformait intentionnellement son nom) «il fait une quantité de fric avec son gros pif de balayeur de maquereaux... Ce boucher est assis sur un sac de fric et il couche avec Demi Moore; J'ai lu ça, dans les journaux!»
Paul ne lisait plus depuis longtemps les journaux. «J'ai horreur de leur cellulose puante et menteuse... je suis comme le gars de la confiserie, je n'avale plus de bobards et je ne participe pas à leur enrichissement du jour au lendemain. Ils font des milliards sur notre dos... sur le compte du malheureux contribuable. Et avec cet argent, ils orU
des Daewoo et ils racontent n'importe quoi sur leur portable. Chaque maquerelle, si elle
veut se faire plaisir, elle a cinq à six orgasmes en parlant sur son mobile... elles ont trois
règles par mois. J'ai entendu dire que c'est cancérigène! Je l'ai vu de mes yeux dans le
journal! Leurs jours sont comptés! C'est évident!»            "
         Pour moi, les choses étaient claires. Paul avait eu deux téléphones portables et il
s'agitait avec, dans le quartier... comme s'il était chez les scouts. L'un des portables
avait été cassé - j'allais l'apprendre plus tard, - par l'une de ses anciennes femmes;
L'autre, il l'a cassé lui-même, en tapant du poing sur la table... Avec le même el
inévitable discours: «Sacré bordel de merde, elle est partie en Amérique... Elle a fait
fortune avec un entrepreneur privé. Et moi, j'encaisse encore un boulet de Breban, mon
maitre spirituel! Tu sais ce qu'il m'a dit? C'est bien fait pour toi, si tu traies avec le
Tsiganes!»
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Paul devait avoir lu au moins deux cents fois le philosophe Tutea. Il m'en a même récité, à moi, des nuits entières. Il ne parlait plus en tapant du poing sur la table, de ses copains et amis, les Juifs qui avaient fait carrière ou fortune en Amérique. De Gheorghe Gheorghiu-Dej, l'ami des ouvriers à casquette, il n'en était plus question. Je ne sais pas comment il a fait, mais il a mis la main sur une cassette de discours d'extrême droite el de chansons que sa mère connaissait: «La jeunesse légionnaire» été II avait, en plus, découpé dans des journaux qu'il ne lisait pas la photo d'un leader facho d'avant guerre dit «le capitaine»... il l'emmenait au bistrot, il mettait des culottes de cuir et des botte! de style nazi, avec une capote en cuir noir longue jusqu'aux chevilles. Quand il st soûlait, il prenait l'accent allemand et terrorisait ses convives. Il était incollable sur li Bataille de Stalingrade, les combats de Koursk-Oriol; il avait vu tous les films russe' sur la deuxième guerre mondiale... il adorait Adriano Celentano pour son album «La terza guerra mondiale...» Il me lisait, jusqu'à en avoir le souffle coupé, pour qu'il itm faille lui administrer des doses massives de calcium et magnésium, du Manifesté Futuriste du père Marinetti.
Lorsqu'il était à bout de forces, il recevait des coups de fil des types de la Droit^ Nationale ou de la Nouvelle Droite... 11 refusait poliment et, après avoir raccroché, disait: «Ma mère m'a conseillé de ne jamais me mêler de politique. C'est son seul conseil dont j'ai tenu compte. Entends-tu Steff, la politique est une vieille pute: elle fi les yeux doux aux jeunes et couche avec les vieux!»
Et puis, avant de s'endormir sur le canapé, de ses dernières:   
«Ils ont changé les lits, mais les putes sont les mêmes!»
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       Tous ces moments avaient en commun une vieille racine cachée: «Monsieur losif Naghiu, l'auteur dramatique, mon ami» (il avait le culte de l'amitié, mon Paul) m'; demandé si je ne voulais pas écrire un roman. Moi, Steff, je n'ai jamais écrit de roman... Je ne peux pas le décevoir, cet homme. Puisque j'ai dit oui! Et puis, je ne veux pas me disputer avec Breban... Voilà dix ou douze ans qu'il me demande pourquoi j< ne tate pas le ventre mou du roman. Un jour, il m'a abordé du mauvais pied... J'avais déjà bu plusieurs demis de bière et j'avais sur mon dos toute une flopée de poètes à province, qui s'en prenaient à mon ami le poète Mihai Ursachi... En fait, ce n'est pas
à lui qu'il s'en prenaient, à tort, mais à sa fichue limousine d'Amérique. Son œuvre, ils
ne pouvaient pas y toucher, vraiment» - disait Paul, regardant le plafond, les yeux en
flammes. «Ce qui fait qu'après cette discussion j'ai affronté mon maitre spirituel,
Breban... J'ai commis alors l'une des plus stupides gaffes de ma vie. Tu entends,
Stéphanie? L'homme a voulu m'adresser la parole: «Pourquoi ne te mets-tu pas au
roman?» « Pour rester amis ! » lui ai-je dit et j'ai disparu de la Terrasse du Musée de la
littérature roumaine, Bd. Dacia, No 12.» Les yeux reniflant le plafond, Paul
culpabilisait maintenant: «Je me suis ridiculisé, j'ai offensé mon maitre... il m'a
défié... je ne sais pas écrire une carte postale et il me défie d'écrire un roman!
Comment a-t-il pu acheter une Mercedes?!         

Nous avons fini par nous disputer. Paul disait ne pas aimer se disputer, mais il avait un don inné pour chercher noise. Pour moi, le plus instructif c'était quand il se disputait avec lui-même. Là, au moins, il avait de la dignité : il se disputait devant la glace. Et j'avoue, à ma grande surprise, qu'il était assez objectif, lorsqu'il sortait - comme on dit - le grand jeu de ses propres insuccès. C'était un as de la culpabilisation. Cela faisait un contraste bizarre avec sa générosité presque hors du commun. Il avait le don de tout donner et il prenait pour argument les paroles de Nichita Stanescu (cet autre grand généreux) : « Lorsqu'Alexandre le Grand est mort, il demanda d'être enterré une main hors de sa tombe, pour que l'on voie qu'en mourrant, l'empereur n'avait rien emporté dans l'autre monde ! »
Je n'ai voulu rien emporter non plus : j'ai déchiré en menus morceaux les pages,
méticuleusement écrites à la main, pour qu'il entende bien le bruissement de la
cellulose.        
II tenta de se montrer diplomate et pour me donner une minime satisfaction, il déchira lui-même une page dactylographiée, qui ne me plaisait pas : « Tu vois, disait-il, il n'y a plus aucune raison de dispute ! C'est fini... Tu n'as plus de raison de me laisser tomber. » II répétait sans cesse que la nuit portait conseil et qu'il valait mieux discuter le lendemain matin, on y voyait plus clair.
  Comme d'habitude, il s'est endormi tout habillé... au cas où et le matin, plus exactement vers midi, je l'ai trouvé en pleine admiration devant la chaine de télévision Discovery... il s'agissait d'avions super sophistiqués qui se préparaient à affronter le troisième millénaire.
  II me dit « Bonjour, petit » et il resta les yeux rivés sur l'écran. Et lorsque je lui posais son café sur la table en cristal, il ne put s'abstenir : « Les Russes sont dans de sales draps. C'est la fin des haricots, pour eux, tu sais Steff et ce n'est que le début ! »


II ne dit mot sur notre discussion de la nuit ... il regardait comme hypnotisé les armes des Américains, qui, disait-il en grinçant des dents, installeront la paix éternelle: sur la terre. Finalement, la paix de notre foyer n'était pas à dédaigner non plus. Or, sa seule arme pour restaurer la paix chez nous, c'étaient les mots. Ce qui fait que j'ai bu mon café froid en regardant la télé.

       Paul se souciait toujours beaucoup de questions mineures... « Mes rêves d'imposture » - disait-il. Il semblait réellement hanté par ses rêves, où il se voyait en train de jouer du piano devant une immense audience, ou faire la chanté dans la lointaine Somalie. Les Nigériens, avec leur SIDA retenaient toute son attention... 11 avait écrit une longue série d'articles sur les singes verts, les « macaques ».
J'allais apprendre que ses historiettes sur le SIDA tournaient déjà à la manie. Peu de temps après, cependant, ses articles amplement argumentes trouvèrent un écho : Je ministère de la santé donna un démenti. Les Roumaines refusaient de faire faire à leurs enfants le vaccin contre la poliomyélite... le dérapage était assez sérieux. Sa série d'articles avait débuté sur un titre sombre et menaçant : « Le professeur Hillary Koprovski accusé d'avoir amené le SIDA sur terre ! » Quelque temps après, il me faisait part de son acribie à lire des dizaines de revues, de se documenter. Il avait (et il a toujours) un ami, le poète Paul Vinicius qui s'activait au même journal (au tirage de 700.000 d'exemplaires... une hystérie nationale... « mon ami, le directeur du journal, ramenait tout le monde dans sa tombe de cellulose expansée, » et Paul avait une dette de plusieurs dizaines de milliers de lei chez Vinicius. « Je lui ai proposé de signer ensemble... - disait le trésor de mon coeur - A l'époque, je tapais Mircea Nedelciu de ses revues « Science et Avenir »... Il me les offrait avec sa générosité de toujours. Mais moi, je devais rembourser sa dette envers Vinicius qui, alors, me connaissait à peine. »
Affalé sur le canapé, il me dit maintenant : « J'ai encore à récupérer 200 exemplaires aux éditions Crater... J'ai assez publié... je les offre à mon ami Vinicius... Il va changer la littérature roumaine contemporaine, celui-là, tu verras. J'ai assez publié, moi ! »
Toute cette histoire de livre, ça vient de Paul : « II me faut un biographe ! Quelqu'un qui écrive l'histoire de ma vie (son père l'avait déjà fait à l'époque où Gheorghe Gheorghiu-Dej, l'ami des ouvriers à casquette, n'avait pas encore été irradié ; c'était la théorie de Paul), quelqu'un qui me comprenne, qui ait la patience nécessaire, qui me supporte. Quelqu'un qui écrive l'histoire de ma vie... terriblement captivante ! »
Et me voici donc devant la machine à écrire CONTINENTAL - une marque
allemande - vieille d'une quarantaine d'années, reçue de son père, en supplément de sa
pension alimentaire.           
Après ses expériences longuement préparées, surtout pour être racontées, Paul
trouvait sa sortie de scène ; il m'offrait son amitié. Il ne savait même pas ce qu'il
trafiquait..                           
Ecroulé sur ses canapés à télécommande, il disait : « Ils m'ont tout pris, même mon chien... j'ai envie de revoir mon chien. Mais les chiens vieillissent mal et il ne nous manquait plus que ça... C'est ce que disait ma mère, du moins ! Personne n'a manqué l'occasion d'essuyer ses pieds sur mon visage, à commencer par les femmes et jusqu'à mes amis. Tu es peut-être la seule à m'aider à sauver quelques meubles ».
Ce qui était presque inexplicable, c'est qu'il me le disait chaque soir et que je l'écoutais, sans que ses pleurnicheries m'ennuient le moins du monde. C'était vrai, il manquait le chien, on lui avait tout pris. Mais il oubliait toujours de mentionner qu'il avait tout fait pour qu'on lui prenne tout. Des amis le lui avaient même dit :.« Dis donc, Paul, tu te comportes comme si tu demandais à tout le monde de se payer ta tête. Et tu as un talent incroyable pour te faire injurier ».
Il l'avouait, mais il ne pouvait pas faire autrement : il vous forçait à être son ami, à manger son pain, à accepter sa bière, ou bien, selon le cas, il vous obligeait à recevoir  sa montre, son blouson de cuir, le briquet qu'il venait de s'acheter ou tout autre objet
de chez lui, que vous auriez admiré. Pour les livres il était radin.   
Ah ! Pas les siens ! Ceux là il les offrait à tout le monde. Sans ostentation.
Je l'ai trouvé un jour au bistrot du coin, où je le récupérais difficilement tous les
soirs. Il avait les larmes aux yeux : « Ils m'ont encore coupé une part de mon salaire.
Regarde ma fiche de paie... 200.000 Ici. Mais, dis-moi, Steff, comment rentrer chez sa
femme bien aimée, avec 200.000 lei de paie. L'équivalent de 50 euros... Ah, mais laisse
tomber , putain de merde, nous n'en sommes pas à ces détails près. Je vais en procurer,
de l'argent, moi. Regarde, ce que je t'ai acheté : un déodorant Prêt-à-porter, tu n'avais
que le parfum... et aussi un parfum B.U., parce que tu n'avais que le déodorant... eh,
Nina, du vin pour mon ami Puiu... Comment ça va, hé, Lucien, salut ! qu'est-ce que je
t'offre ?»               
En ces moments là, je l'aimais et lui, le salaud, il le savait.
Au bout d'une heure de spectacle avec ses amis de bistrot, il s'asseyait à mes côtés et il larmoyait : « J'ai vu un petit garçon, le nez collé à la vitrine d'un magasin de jouets... il regardait des pistolets... Je suis entré avec lui au magasin et je lui demandé lequel lui plaisait. Il me l'a montré un peu effrayé. Je lui en ai acheté deux, pour que justice soit faite. Parce que dans mon enfance, je rêvais à un pistolet de cow-boy et je ne l'ai jamais eu. Il faut être généreux dans la vie ! Je les emmerde avec leur fiche de paie !»
L'obsession des pistolets de cow-boy datait des années 60. Son père avait écrit un mémoire à Gheorghiu-Dej, alors secrétaire général du PC, l'ami des ouvriers à casquette, pour y exposer ses points de vue, ses insuccès, le fait qu'il se sentait marginalisé, humilié. Il avait tout décrit en détail à Gheorghiu-Dej, au Comité Central du Parti Communiste Roumain.
« Un jour - racontait Paul - je suis rentré du terrain vague où je jouais avec mes
amis.                     
Les miens avaient des visage rouges-citron, et celui de mon père avait une nuance étrange... Les peintres devraient savoir ça... ; la nuance du désespoir, de la folie féroce. Gheorghe Gheorghiu-Dej, l'ami des ouvriers à casquette des années 60, venait de mourir et le mémoire de mon père avait été enterré avec lui ».
Il y avait dans l'air l'odeur de la catastrophe et des coups de fusil tirés en brèves rafales à la mémoire de Dej. De son immeuble, au-dessus de la salle Dalles, Paul enfant avait même assisté, à l'époque, à la minute de silence à la mémoire de Dej, l'ami des ouvriers à casquette et béret basque.
L'affût de canon sur lequel était étalé le cadavre emmenait dans l'illusoire tombe de l'histoire le mémoire de son père.
«Nous sommes restés toute une minute, à nous recueillir, immobiles. La planète entière semblait figée dans son éternelle rotation.... Quant à moi, je pensais surtout au mémoire de mon pauvre papa, qui s'en allait à vau-l'eau en ce samedi funéraire... Oui, c'est le bon mot, Steff - immobiles à regarder le cercueil qui enterrait toutes nos illusions ! »
Je l'écoutais avec indifférence, avec une attention prudente, et j'essayais même de lui donner raison ; j'admirais son « art de la fugue » dans les lamentations, seulement, à ce qu'il disait, avec le changement de pouvoir politique, la situation de son père s'est brusquement améliorée. Au point qu'il s'était même permis d'acheter une radio, faite avec des pièces soviétiques, une « Romantza ». Le poste avait deux boutons et, de l'avis des techniciens soviétiques, il permettait de recevoir deux stations. Et au bout d'interminables discussions à la maison - où maman gueulait qu'on n'avait pas « donné » de viande au magasin et qu'elle avait du attendre devant la boucherie du quartier depuis trois heures du matin, - il s'offrait le luxe d'un taxi Pobeda (il n'y avait plus de voiture noire devant la porte), pour aller à Mogosoaia, à la maison de création des écrivains.


Sa mère et lui restaient entre les murs infinis de leur logement accolé à l'ambassade des Etats-Unis, avec un terrible sentiment d'incertitude concernant l'avenir.

Quelle tête ils ont ceux-là, qui voyagent dans le bus ! Et quelles fringues ?! De la couleur des banquettes en fibre carbonique des nouveaux cars silencieux et écologiques. Si écologiques qu'il ne faut même plus s'accrocher à la barre, toutes portes ouvertes en plein hiver, pour aller pointer. Il a raison, Paul : ça vaut la peine d'étudier les figures des gens dans le bus, leur bouille, leur gueule... 11 est plus généreux, lui, il nomme ça des physionomies. Mais après avoir attendu des milliers de cars, je me suis mise à penser que si tout Chicago déménageait à Bucarest, le métier de voleur à la tire aurait une certaine dignité et la main sur les fesses serait un geste hollywoodien. Car dans tout nouveau bus écologique, il y a toujours un petit Robert Redford, boutonneux, fraichement externe d'un hôpital psychiatrique, qui fait deux ou trois orgasmes rien qu'à se frotter au sac d'une femme. Une sorte de Titanic à la recherche d'un iceberg de tendresse à la minute.
Les dames qui sont devant moi, je les imagine être des infirmières. Il ne leur manque que les couvertures à distribuer généreusement aux cadavres jetés par les ambulances au coin de la rue. Elles sont un peut vieillottes et ne ressemblent pas aux infirmières de shows de Benny Hill, ni à la docteur de l'hôpital Sfantul Ioan, à qui Paul avait essayé de faire un peu la cour : « Quand j'ai appris qu'elle avait un enfant et qu'elle habitait dans une banlieue chaude, je me suis plutôt occupé de mes affaires ». Elle l'avait cependant sauvé de l'incertitude concernant son inexistence à lui.
Le type à côté de moi sent l'alcool du jour de paie et tousse dignement dans un reste
de mouchoir empesé, qu'il sort de sa veste matelassée d'ouvrier des années 60. Des
arrêts de bus défilent.
Nulle personne valant la peine d'être étudiée ne monte plus. Un bus de quartier. Les petites de 16 ans que Paul voit au centre et dont il rêve la nuit, ne circulent pas en bus. Elles prennent un raccourci en Daewoo vers Predeal, dans les Carpates. Il a raison, Paul : « Comment, putain, ont-elles des sous pour leurs Motorola et leurs imitations de fourrure ? »
II est exigeant, lorsqu'il s'agit de femmes et ses goûts sont presque abstraits : « Une femme doit toujours être bien fardée, bien, peinturlurée, bien vêtue et avoir de beaux bas ! Et elle doit avoir des talions aiguille, non pas des bottines et un rouge à lèvres couleur caca ! Elle doit sentir bon. Le matin un parfum, le soir un autre ! Elle ne doit pas avoir l'air d'une loqueteuse et la laque sur ses ongles ne doit pas ficher le camp. »
Enfin, le bus 282 s'arrête devant la Télévision. Il ne faudrait pas oublier d'acheter des cigarettes. Elles sont meilleur marché à la station de métro. Et du vin pour Paul. Parce qu'on s'en sort mieux avec celui-là en bidon plastique ...
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Pour dormir, il avait un style que je n'ai jamais vu chez d'autres hommes. Il justifiait son sommeil en évoquant son unique propriété, le chien : « La position du fœtus ». Puis, tandis que j'épilais mes jambes et lorsque j'enlevais mes crèmes après la douche : « Le seul animal qui ne meurt pas dans la position dans laquelle il nait, c'est l'homme. » J'étais en train de devenir une experte pour les positions de la mort. Là, Paul était bien informé... Il nourrissait sa peur de la mort de toute la cellulose du « National Géographie » et de « Science et Avenir ». < '• "-• ^ •••'" ; -• !
II était passé maitre sur les questions de l'euthanasie et il était le patient le plus patient qui soit de ses tiroirs à médicaments. Il en avalait par pelletées, comme dans les aventures de Rossini. Mais là, il citait Bacovia, le poète, « L'orchestre se lança dans une indignation gracieuse ». Il y avait vraiment de l'indignation dans sa manière de plonger ses mains dans le tiroir à médicaments... Il lisait les prospectus, les contre-indications, les effets secondaires, mais il finissait par les absorber avec cet air digne que seuls les médicaments vous donnent.
Son hypocondrie avait une certaine grace. Il se lamentait jusqu'à l'extase. Le tout mêlé à un discours qui commençait à me donner à penser : « Comment Bruce Willis a-t-il le fric qu'il faut pour baiser Demi Moore... celte pute qui a reçu douze millions de dollars, rien que pour jouer les strip-teaseuses.... C'est sa grand-mère, peut-être, qui le lui a envoyé de la tombe 1\ Et c'est pour cette saloperie, qu'il encaisse vingt mille dollars, pour jouer dans ses films de merde ? Mes collègues, mes voisins, tous - ils ont fait carrière en Amérique, - tandis que moi, qui avais la possibilité de le faire, je suis resté là, pour boire le verre de la honte jusqu'à la lie ! » Je commençais à le regarder comme une bête en voie de disparition, sachant dormir et - selon ses grognements sur l'oreiller - même rêver. Il disait avoir emprunté une technique de son ami, le prosateur Mircea Nedelciu. Il disait : « Un grand talent m'a refilé cinquante dollars pour arriver à Bonn. Et il m'a offert amicalement le plus beau voyage qui soit, à Kichinàu. Il me disait que ce n'est pas la quantité du sommeil qui compte, mais sa qualité !»
II justifiait ainsi ses nuits sans sommeil. Il avait l'accord de son ami. Lorsqu'il
s'agissait de sommeil, Paul, l'homme que j'aimais dans sa parfaite inconscience, avait
une religiosité bien fondée : il donnait sur le canapé, au lit, puis à nouveau sur son
canapé... et il se justifiait lamentablement : « quand j'étais petit, j'avais des crises de
somnambulisme . Je me levais la nuit et je voulais sortir ... Puis : « La seule institution
de ma vie, c'est le sommeil ! »                               .


Dieu soit loué que Gheorghe Gheorghiu-Dej, l'ami des ouvriers à casquette, n'ait pas eu de principes concernant le sommeil. Il les aurait fait siens, entièrement !

       Au lit, il vivait de ses trophées d'autrefois. Empaillés d'illusions. Paul avait un style qui vous dégoûtait de la vie. A l'orgasme, tout en se vautrant et errant dans les matelas, il parlait de Gheorghe Gheorghiu-Dej, des cheminots licenciés et insatisfaits sexuellement. Les ouvriers à béret basque passaient en premier... J'entends encore sa rauque près de mon oreille. Des usines entières de tendresse se prélassaient à côté ici, touchaient ma peau,  se rengorgeaient dans la lingerie de soie achetée par sa mere…


       Ce n'est pas avec moi qu'il faisait l'amour, mais avec ses contradictions entre linots et révolution... ses amis de milices, le quartier des Juifs qui avaient fait carriere en Amérique. Après quoi, il n'avait pas sommeil. Une frénésie de farfouiller son tiroir à pinces, tournevis et tenailles le prenait... Encore un peu et il vous demolissait toute la maison. Entre les soupirs et halètements, j'ai appris que l'idéal de était la ville d'Onesti (« II y a de grands poètes par là » ne cessait-il de me répéter ). lit ça. A quarante ans, il avait encore des nostalgies. Il les nourrissait bien. On lit pas de lit conjugal. Entre lui et moi, il y avait Gheorghiu-Dej et ses ouvriers leurs casquettes. Je faisais l'amour avec Gheorghiu-Dej. Entre Dostoïevski et il y avait Gheorghiu-Dej, l'ami des ouvriers en casquette. J'en arrivais à l'aimer, à  l’idolatrer ; je me voyais en train de coucher avec toute la direction du PC. Gheorghiu-Dej, mon sex-symbole et Paul un simple voyeur. Il projetait des images dans la chabre de Paul et on faisait ensemble une partie de sexe terrible. Tandis que Paul affrontait, torse nu, les chars de l'armée soviétique libératrice, on entendait tirer les ;s dans le brouillard de ces années là..

Finalement, c'est dans ma salle de bain que je me sentais en sécurité. En me pommandant et en étudiant mes seins qui n'auront jamais besoin de silicones. En
refletant mon image dans l'énorme miroir et en essayant de donner un sens à mon
existence du jour. Les enceintes n'étaient plus à fond, Paul ayant du s'endormir sur ses
eternels canapés tandis que la douche fonctionnait comme un bain de foule.. C'étaient
ces moments-là, où on se sentait bruissant en plein anonymat bienveillant et chaud,
me dis-je, je ne me paierais jamais de garde du corps.... Paul ne supporterait pas.
Meme la chanson de Whitney Huston l'énervé. Quant au film, un succès en son temps,
voulez-vous que je vous dise : « Comment, putain, a-t-il le fric pour jouer le rôle d’un
manouche qui essuie les vitres des voitures au feu rouge. Qui a inventé ce voyou
de Kevin Costner, qui est devenu milliardaire en dollars du jour au lendemain ?... C'est
lui qui couche avec Demi Moore ? »    Mais non, Paul, tentais-je de l'apaiser. Celui-là c'est Bruce Willis.
Il n'attendait que ça. Le sujet suivant était son quartier de Juifs qui avaient fait
carriere en Amérique. Je connaissais la leçon par cœur. Et lorsque, dans un de mes rares
moments d'inconscience bien étudiée, je lui offris un chien en porcelaine, il lui trouva
a la fois un nom et un défaut : « II est en terre cuite, celui-là. Il va s'appeler Teracotà »!
lui-là, au moins, il est fidèle (il l'avait installé sur son bureau), on peut le caresser
et l’aimer. Celui-là , il n'a pas besoin des BMW de ce voleur qui se disait mon ami.
«Comment, putain, a-t-il pu se payer une BM.W ?! » Tout en me reflétant dans l'énorme
acheté par sa mère, je tentais de me remémorer mon enfance. Car Paul se faisait
une drole d'idée du sens de ce mot. Une idée imprévisible, même.
        Depuis la parution de son dernier volume de vers, Paul était devenu excentrique et
agressiif : il écoutait attentivement Mircea Dinescu, qu'il considérait comme un grand
mais au fur et à mesure que l'enregistrement se déroulait, il lui faisait un seul reproche, qu'il... lançait contre les murs : « Et depuis quand les comètes ont-elles des tétons ?......Boire le lait aux tétons des comètes ? »... Il devrait aller voir le professeur
Bengescu, à l'hôpital psychiatrique, se faire soigner les métaphores... » Après quoi il arrachait de sa bibliothèque les volumes de Dinescu pour me réciter. « Un poète génial - disait-il. - II les double tous. Il a même une Mercedes blanche avec un fer à cheval accroché au radiateur. C'est un Monsieur, il m'a offert un verre de Champagne à l'Union des Ecrivains, à la Maison Vernescu... ! » Suivaient les lectures et là, Paul n'avait pas son pareil, un véritable acteur... il y mettait du cœur ... sans scène, sans indications scéniques. Il continuait : « Ses livres, Dinescu me les a dédicacés et il a une de ces femmes ! Je l'ai vue Avenue Dorobantilor, poursuivie par deux agents de la « securitate »... Tu sais ce qui m'a le plus impressionné, Stéphanie ? Elle s'est arrêtée devant la vitrine d'une modiste,... près du restaurant Perla ; je me suis senti humilié... j'ai vu que la féminité s'en fiche des agents. Comment a-t-il pu acheter une Mercedes ? Avec un fer à cheval sur son radiateur ?! »
L'oscillation entre ses admirations sincères, enthousiastes même et son éternelle et agaçante manie de faire les comptes des autres était le numéro de parade que devaient subir toutes les « majorettes » de son insatisfaction.
Et pourtant pendant des nuits entières, des nuits interminables, il me lisait de ses amis poètes, toutes générations confondues. Breban même l'a dit, de ses propres mots, au Club des Architectes : « J'ai rarement vu une telle générosité, presque inexplicable entre poètes et qui n'existe pas chez les prosateurs ». Ils lui avaient même fait une préface - Breban, son maitre spirituel et Grigurcu, le critique qu'il vénère.


Après quoi la légende avait quelques dérapages : « C'est ceux-là qui auraient du faire carrière. Et non pas mes Juifs du quartier de Snagov... Il haletait, fatigué. Steff, je me suis fait un ennemi : Dorin Tudoran, qui m'a offert son amitié ! » II n'avait plus que des ennemis.

      Pendant une demi-heure, avec une pelle et un prétendu balai, j'ai évacué presque
toute la neige du balcon. Le froid était incroyable et j'entendais la voix de Paul venant
de la chambre: « Mets encore un lainage, un pull ! Tu ne vois pas le gel qu'il fait ?!
J'aime la glace, surtout lorsqu'il m'arrive de tomber dessus. La glace des rues de
Bucarest a quelque chose de plus. Elle est pragmatique. Elle fait son devoir, toutes
couleurs politiques confondues... Elle fait culbuter tout le monde... ; elle leur rappelle
artistement les lois de la gravitation...» Paul me disait dans ses amusants monologues
de dilettante : « Newton serait devenu fou. C'est bien normal. Wilhelm Tell tirait à
l'arbalète sur les pommes et voilà, il ne lui est rien arrivé. Il est même devenu un
personnage de cinéma, dans plusieurs films. Tandis que Newton, on n'en parle plus du
tout... personne n'a jamais osé jouer ce rôle... pour rester sous l'hécatombe de pommes
qui devaient lui tomber sur la tête, rien que pour bien lui enfoncer dans la cervelle les
lois de la gravitation.. Parait-il qu'il était homosexuel, comme Tchaïkovski. C'est bien
fait pour les pédales... Il parait qu'on n'entre pas dans la Communauté européenne
parce que nous ne savons pas faire de conserves pour homosexuels... Cette plaisanterie,
je l'ai même racontée à l'ancien président Ion Iliescu, à une sorte de conférence où
j'avais été convoqué pour rien. » 

      Après quoi : « II y avait une nana à sa droite, elle avait des jambes vraiment remarquables... A part ça, sur les tables, rien que de l'eau minérale et dans les voix, de l'eau de pluie. Mais les jambes de celle là étaient concrètes, matérielles, Stéphanie, presque palpables. » II enleva son complet veston, sa chemise, la cravate que lui avait offerte son ami le prosateur Emil Mladin, ses chaussettes, puis il s'est enfermé dans la salle de bain pour une vingtaine de minutes. Aucun bruit de douche ni de robinet ; évidemment, les jambes de l'autre avaient fait leur effet!            

E-mail: revista.tiuk@gmail.com Redactia: Mihail Vakulovski, Alexandru Vakulovski, Carmina Trambitas, D. Crudu,
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